Education France/Les classes préparatoires: une exception française
Les années passées en classes préparatoires sont des années singulières, particulièrement marquantes. Dans cette émission, Eric Cobast, professeur agrégé de l’Université, bien connu des préparationnaires pour ses nombreux ouvrages et sa production de programmes académiques dans le cadre de l’enseignement supérieur, répond aux questions de Sophie de Tarlé, rédactrice en chef du Figaro Étudiant. Il nous raconte l’histoire des classes préparatoires, comment et pourquoi elles sont nées en France, mais aussi leurs traditions teintées d’humour potache, qui ont perduré jusqu’à nos jours. Les classes préparatoires sont une exception française parce que les grandes écoles sont aussi une exception. La création des grandes écoles va conditionner celle de ces classes prépas où les étudiants se préparent précisément aux concours organisés pour entrer dans ces mêmes écoles. On les appelle d’ailleurs CPGE, c’est-à-dire: Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles. La naissance des grandes écoles remonte à François 1er avec la naissance du Collège de France. Elles se sont ensuite multipliées jusqu’à la création de l’Ena par Maurice Thorez, à la libération. Par vagues successives la France a perpétué cette tradition de création des écoles spéciales, qui venaient doubler la formation à l’université. Il y a d’abord eu les écoles d’Ingénieurs au XVIIIe siècle ( Les Ponts et Chaussées, les Arts et métiers, Centrale et en 1794 Polytechnique), sous la Révolution apparaît l’École normale supérieure et au XIXe se développe le réseau des écoles de commerce, l’ESCP en 1819, HEC en 1881. C’est une formation qui vient en concurrence avec l’université? Les monarques français, je parlais de François 1er, mais Louis XV aussi a beaucoup contribué à créer les grandes écoles françaises. Au départ, les lycées ont préparé en leur sein les élèves aux écoles militaires. Mais les rois de France voulaient créer des institutions de formation des élites indépendantes de l’église, pour s’émanciper de la religion, puisqu’à l’époque l’université est sous la tutelle directe de l’église. Ces classes préparatoires ont subsisté. On pense immédiatement au lycée Henri IV et au lycée Louis le Grand à Paris, dans le 5ème arrondissement de Paris. Je pense aussi au collège Stanislas à Paris. Ce sont d’ailleurs les étudiants de Stan qui vont mettre en place le jargon propre aux prépas. Aujourd’hui, les prépas restent importantes dans notre culture. La presse spécialisée s’en fait l’écho et publie chaque année les classements des meilleures d’entre elles. Le phénomène est toutefois marginal. La population des préparationnaires reste faible par rapport à l’ensemble des étudiants français. Il n’y a guère plus de 85 000 étudiants en classes prépas. Il y en a 2,5 millions à l’université. Au départ, les classes préparatoires préparaient donc uniquement aux écoles militaires. Quelles sont les différentes filières aujourd’hui? Il existe aujourd’hui trois grandes filières qui préparent en deux ans aux concours des grandes écoles. Il s’agit de la classe préparatoire aux écoles d’ingénieurs, la prépa aux grandes écoles de commerce, dite prépa HEC, et enfin les prépas aux Écoles normales supérieures, qui sont littéraires. Mais la répartition des étudiants est très inégale: 60 % des étudiants de prépa sont en filière scientifique, 22 % en filière commerciale et environ 15% en filière littéraire. Vous parliez d’un jargon propre aux prépas: cube, khâgne... Pouvez-vous revenir sur ce vocabulaire un peu mystérieux? Il existe un jargon spécifique propre aux prépas, avec un vocabulaire très fantaisiste, et surtout une orthographe burlesque, qui révèle une prise de distance des étudiants, qui ne veulent pas se prendre au sérieux. Les prépas littéraires sont ainsi appelées des Khâgnes, les premières années sont des hypokhâgnes. À l’origine ces étudiants étaient moqués par les élèves scientifiques qui raillaient leur côté chétif, malingre, et leurs genoux cagneux (alors que les élèves de prépa scientifique faisaient du sport pour intégrer l’École polytechnique).C’est pour cela que les littéraires sont des Khâgneux. Les élèves scientifiques sont appelés des taupins, car ils travaillent à l’aveugle, sans voir le jour. Quant aux élèves de prépas commerciales, on les appelle les épiciers. Enfin, il y a aussi des expressions comme carré, cube qu’on utilise en prépa HEC et en khâgne. Quand un bizuth est en première année, on met le chiffre 1 après son nom: de Tarlé 1. En deuxième année, on lui met le chiffre 2, ce qui fait qu’il est au carré. Enfin, s’il est en troisième année, on écrira le chiffre 3, et on l’appellera un cube, écrit Khûbe, bien sûr, avec cette orthographe surréaliste, toujours pour ne pas se prendre au sérieux, dans la grande tradition des étudiants du Moyen Âge. Quant à la formule MSKOH, c’est une tradition qui remonte au XIX ème siècle. Dans certaines prépas, les étudiants portent un calot où l’on voit cette inscription énigmatique. Le M signifie «j’aime», le S est la formule chimique du soufre, le KOH est celui du potassium. Ce qui veut dire: «J’aime souffrir en potassant». Il y a aussi le mot bizuth, dont l’origine est incertaine. On le voit apparaître en 1843 à Saint-Cyr. Il semblerait que cela vient d’un mot ancien, bésu, qui signifie niais. Justement, le bizutage existe-t-il encore? Le bizutage a été interdit par la loi depuis 1998. Il s’agissait d’un rite de passage fait de pratiques humiliantes destinées aux bizuths. Il a été remplacé par des journées ou des week-ends d’intégration. Quel est le calendrier des années de prépa? Même l’année scolaire est particulière en prépa. La deuxième année est bien plus courte, et à partir du mois de septembre, c’est un sprint jusqu’en avril, avec d’abord des écrits, deux semaines de pause, puis les oraux, jusqu’à mi-juillet, jamais plus tard. En argot scolaire, Struktural, Binomial, Sérial, Intégral, Conical, Spatial, Ombilical, Pascal, Schicksal, oral, Fuital et Bullal représentent les mois de l’année du préparationnaire, de septembre à août.